Après une fin 2019 chargée, et un début d’année qui l’est tout autant pour moi, on peut dire que j’ai mis du temps à écrire un petit billet sur Death Stranding. En même temps cela m’a permis de bien digérer le jeu, et de laisser la méga-hype qui a entouré la sortie, retomber : les gens ont repris leurs esprits. Un contexte finalement idéal pour donner un avis avec un bon recul de circonstance :)
Je n’ai aucun à priori positif ou négatif envers Hideo Kojima. Quoiqu’on dise, c’est un créateur de jeu vidéo incontournable de ces 20 dernières années qui a apporté énormément à l’industrie, au même titre que beaucoup d’autres grands noms. Je n’éprouve aucune admiration de fangirl pour lui (la série Metal Gear ne m’a jamais vraiment accroché), ni aucune haine de hater. Bref : aussi neutre que le jeu d’actrice de Léa Seydoux en somme. Depuis son annonce (il y’a tout de même plus de 3 ans), Death Stranding m’a toujours fasciné par son concept très flou et inconnu jusqu’à sa sortie ! Une façon de préserver la surprise jusqu’au dernier moment.
L’accroche des premières heures
On est un livreur, Sam Porter Bridges parfaitement incarné par l’acteur Norman Reedus, sur une Terre dévastée par le Death Stranding, une sorte de catastrophe qui a connecté le monde des vivants, avec celui des morts. Les échoués, sortes d’esprits des morts matérialisés, hantent désormais les plaines désertiques des Etats-Unis. Sauvé de peu par l’énigmatique Fragile (Lea Seydoux), on apprend assez rapidement que l’on va devoir mettre en place un réseau « Chiral » (sorte d’Internet), à travers ce qu’il reste des Etats-Unis, tout en effectuant des livraisons aux survivants enfermés dans des bunkers et déconnectés de tout. « Connecting People » c’est tout l’enjeu de Death Stranding (et non une pub pour Nokia).
Les premières heures sont passionnantes. Elles décrivent toute une mythologie et un univers vraiment fascinants à travers 2 chapitres extrêmement bien construits, équilibrés, et qui appellent à la découverte d’un jeu prometteur. Certaines premières séquences sont assez somptueuses grâce à une BO envoutante, et au très bon moteur graphique Decima, déjà utilisé sur Horizon Zero Dawn, même si la comparaison graphique s’arrête là. Le titre de Kojima ne met pas la même claque technique que celui de Guerilla Games. On en est même assez loin, avec des décors plutôt vides, peu peuplés, et un moteur physique à la ramasse. La direction artistique du légendaire Yoji Shinkawa couplée à un véritable sens de la mise en scène cinématographique de certains passages, insuffle heureusement une identité visuelle très forte au titre, pour notre plus grand plaisir.
Puis arrive le très, très, très (très) long chapitre 3, qui introduit beaucoup d’éléments nouveaux (j’y reviens plus bas) d’un coup, et met en lumière la faiblesse principale du titre, qui restera présente durant les 12 chapitres restants.
Le gameplay oublié sur la Grève
Pour moi, le coeur d’un jeu vidéo, c’est son gameplay. Je conçois parfaitement le parti pris de certains titres résolument orientés « Ciné-Jeu » comme par exemple les productions Quantic Dream (Detroit en est le parfait exemple) : aucun gameplay, mais une contrepartie narrative omniprésente, avec un art du récit méticuleux, et une longueur de jeu réduite pour rendre le tout digeste et accrocheur.
Death Stranding ne fait pas partie de cette catégorie. Fondamentalement, le jeu se veut être une expérience Open World TPS qui touche un peu à plusieurs genres, mais qui ne brille finalement dans aucun. Le principe élémentaire de gameplay se résume à maintenir en équilibre notre Sam Porter Bridges, et ses dizaines de kilos de colis sur le dos qu’il doit livrer d’un point A à un point B, en jouant avec R2 et L2 pour redresser la charge à droite ou à gauche… En tout cas au début, puisqu’une fois les véhicules débloqués (moto, puis camionnette), cette notion d’équilibre disparait (presque) totalement. Ironie : c’était la seule idée de gameplay, certes pauvre, mais un peu originale pour une production AAA.
Le reste s’avère être mal exécuté malheureusement. L’infiltration est particulièrement sommaire et ennuyante, et les phases de shooting, malgré une belle panoplie d’armes, sont au mieux médiocres (je veux dire plus que dans Days Gone) avec un feeling assez creux. On a plus vite fait de balancer une Bola pour immobiliser les fameuses MULEs (sorte de milice tentant de nous voler nos colis..), que de les tuer. Surtout qu’en les tuant, les corps finissent par se transformer en Echoués, la deuxième catégorie d’adversaires…
… qui nous amène à leur boucle de gameplay, franchement bien pensée et agréable au début, mais qui finit par être particulièrement lassante et enquiquinante. Le principe est de passer sans se faire remarquer (avec 100 kilos de colis sur le dos) dans les zones infestées d’échoués, pour ne pas qu’ils nous repèrent. Un brin flippant au début, mais on se rend très vite compte, qu’on a bien mieux fait de se faire repérer. En effet, on déclenche alors un combat, toujours plus ou moins identique, contre un gros échoué représenté par une chimère monstrueuse, mais très simple à tuer sans forcer. Une fois abattue, la zone est nettoyée de tous les échouées et on passe tranquillement, plutôt que de s’embêter à faire de longs et (très) pénibles détours improbables. L’option de foncer tout simplement à travers la zone infestée, en moto, est également viable la plupart du temps.
Certains combats de Boss sont plutôt sympas et originaux, mais la majorité reste limité par l’insuffisance de gameplay encore une fois… Certains ne présentent même aucun intérêt, comme par exemple l’affrontement le plus attendu du jeu, paradoxalement décevant au possible.
Bref, fondamentalement, on ne comprend pas bien ou Kojima veut en venir avec son système de jeu, sans doute trop ambitieux, qui mélange trop de choses, et qui aurait gagné à assumer plus simplement sa nature « jeu de livraison méta narratif only ». La pauvreté du gameplay se fait énormément ressentir, et ne trouve aucun salut dans la narration, morcelée et particulièrement inégale tout au long des 15 chapitres. Oui, l’Histoire est intéressante, et même très prenante à plusieurs moments clés du jeu. Mais la façon dont elle est racontée fonctionne souvent mal la faute à des séquences « intermédiaires » entre 2 événements, souvent bien trop longue, qui m’ont un peu empêché d’en apprécier tous les enjeux.
Construire ensemble
Finalement pour moi, TOUT l’intérêt du jeu réside dans son système de construction et coopération indirecte avec les autres joueurs, véritablement intelligent et interessant. En effet, le jeu invite assez rapidement à construire des structures à l’aide de ressources obtenues par exemple en récompense de livraisons, afin de faciliter les différents et très nombreux allers-retours que l’on va devoir effectuer. Reconstruire des routes, créer des ponts, des tyroliennes, des abris, etc.. tous ces éléments ont une dimension d’entraide multi, puisque non seulement ils peuvent apparaitre dans la partie d’autres joueurs pour les aider, mais ces derniers peuvent également contribuer avec leur propres ressources à améliorer ces structures. Un jeu dans le jeu, important, brillant et addictif.
A la manière d’un Dark Souls, on peut également laisser des indications, ou même des objets comme une échelle, une corde, ou tracer une route sûre, qui pourra être utilisée par d’autres. Une mécanique meta qui va totalement dans le sens de la « re-connexion » qu’essaye d’établir Kojima à travers son jeu.
C’est un élément fondamental, bien plus que le scénario en lui même. Pour moi c’est LE pilier du jeu, à tel point que je n’arrive toujours pas à comprendre comment des tests ont pu être aussi dithyrambiques (18/20, 10/10 etc…), alors qu’ils sont complètement passés à côté de tout ce système, un peu absent lors de la période d’embargo, en rushant le jeu en 35heures (donc sans vraiment rien construire) pour rédiger un test le jour J. Le mystère restera entier.